Lorsque le monstre se réveille

Sayuri émergeait d’une longue nuit de sommeil absente de tout rêve. On ne pouvait pas vraiment dire qu’elle avait envi de rire ou même de sourire. Son esprit était obnubilé par un dossier délicat dont elle avait déchargé un collègue. Une tasse de café brûlant à la main elle s’empressa de s’installer derrière le bureau de sa chambre. D’un geste lent elle tourna les pages de la mission, lisant avec lenteur chaque ligne. Ses lèvres se pincèrent au fil de sa lecture. Intérieurement elle bouillonnait, son estomac était révulsé par la teneur de ces papiers. Un tel comportement était abject et inadmissible, justice serait rendue, elle en faisait une affaire personnelle. D’un coup sec elle repoussa les feuilles et s’adossa contre sa chaise. Le regard vague caractéristique qu’elle affichait indiquait que la Jinchuuriki était en train de mettre au point un plan. Dans un premier temps elle piègerait le suspect afin de le surprendre en plein acte. Ensuite elle le pousserait aux aveux. Quant au reste il valait mieux ne pas y penser pour le moment.
Après un rapide séjour dans la salle de bain elle partit trainer dans les rues du village caché de la brume. Cette excursion n’avait pas pour but de flâner comme lors de ses demi journées de libre, loin de là. Ayant laissé sa sœur piquer copieusement dans sa garde robe pour un voyage elle se retrouvait à cours de vêtements plus conventionnels. Erreur idiote, à présent il fallait qu’elle perde un temps précieux à chercher des habits adéquats à son petit scénario retord. L’étoffe qui composerait son futur kimono devait être douce mais pas extrêmement onéreuse pour autant. Une petite heure s’écoula ainsi. De retour dans sa chambre la jeune femme se changea, enfilant sa nouvelle tenue. Ce coup-ci elle arborerait une longue chevelure noire aile de corbeau arrangée de façon à rappeler les coiffures traditionnelles. Aidée d’une amie elles entamèrent ce délicat et complexe apprêtement. Après quelques déboires elles finirent par obtenir un résultat convaincant. La tâche était plus ardue qu’elle ne l’avait soupçonné. Une poudre claire légèrement irisée fut apposée sur l’ensemble de son visage et de son cou. Un trait charbonneux tracé de main d’expert intensifia son regard et une touche de rosé rehaussa ses pommettes. Pour finir un rouge vif souligna ses lèvres. La kunoichi s’observa longuement dans un miroir. L’ensemble rendait plutôt bien, mélange de tradition et de modernité dosé relativement convenablement. Certes on pouvait faire bien mieux dans le domaine toutefois se perfectionner lui aurait demandé des délais dont elle ne disposait guère. En conséquence ça irait parfaitement.
L’individu dont qu’elle devait appréhender selon le rapport qu’elle avait sous les yeux tentait de s’introduire dans Kiri depuis une petite semaine. Il y avait donc fort à parier qu’il avait quitté le village où il sévissait pour s’installer dans un autre non loin du cœur du pays de l'eau afin de surveiller les tours de garde et analyser le terrain. Le secteur de recherche en était donc réduit considérablement. Il ne restait plus qu’à attendre la tombée de la nuit.
D’une démarche lente Sayuri évoluait en tenant le bras d’un Chuunin de Kiri comme le ferait n’importe quel couple se promenant pour profiter de la fraicheur nocturne. Cet accompagnant était présent pour rendre le petit scénario qu’elle avait mis au point crédible et donner une petite expérience à un collègue envieux de se spécialiser dans ce genre de manœuvre. Bientôt ils quittèrent l’univers urbain et se retrouvèrent dans la forêt, guidés par la seule lumière de la lune et des étoiles. Ils marquèrent quelques instants de pause afin de s’échanger des paroles dans un murmure le long de leur parcours, feignant des déclarations romantiques passionnées. En réalité ils s’informaient mutuellement de leur observation. Pour le moment il n’y avait aucune trace du suspect. Une petite heure s’écoula avant qu’ils ne détectent enfin une présence étrangère. Le faux couple poursuivit ses chaudes étreintes et baisers passionnés ainsi une bonne demi-heure ; leur cible présumée les suivait inlassablement. Il était temps de passer à la deuxième phase de leur plan. Le Chuunin lâcha d’une voix langoureuse qu’elle devait l’attendre ici, qu’il lui réservait une surprise mais qu’il fallait qu’elle soit un peu patiente. Simulant le ravissement mêlé à une pointe d’angoisse elle lui répondit de faire vite. Ca y était, elle était seule et à première vue sans défense. L’instant de vérité était proche. S’adossant à un arbre elle attendit, se tordant les doigts nerveusement.

*Allez, bouge je sais que tu ne peux pas t’en empêcher sale dégénéré.*

Un violent coup s’abattit sur son crâne. La puissance était largement suffisante pour assommer une simple civile mais pas pour une kunoichi de surcroit ayant le niveau de Juunin. Toutefois il fallait qu’elle ait la garantie qu’il ne s’agissait pas d’un simple voleur opportuniste. Faisant mine de s’écrouler et de sombrer dans l’inconscience elle se laissa faire aux aguets. Elle fut donc à moitié trainée sur le sol sans la moindre délicatesse. Son intuition finit de se confirmer quand elle sentit qu’on tentait de défaire son Obi. Une sombre détermination la gagna, elle allait jouer un peu avec lui. La jeune femme poussa quelques gémissements plaintifs mimant un réveil difficile quand elle reçue de rudes paires de claques. D’une voix apeurée elle demanda pourquoi il lui faisait ça à elle, ce qu’elle avait fait pour mériter un tel traitement. Elle eu en guise de réponses de nouveaux coups et un « t’excite pas t’es pas la première ». C’est tout ce qu’elle avait besoin de savoir. Avec la souplesse et la vivacité d’un serpent qui frappe, elle saisit une pique à cheveux et la planta dans la nuque de son agresseur. Un petit clic retentit, elle venait d’appuyer sur un bouton soigneusement caché. Profitant toujours de son effet de surprise la shinobi en profita pour lui asséner plusieurs violents coups de poings à différents niveau. Une fois qu’elle fut satisfaite de son œuvre elle s’approcha sans crainte de son visage, le caressant avec douceur. Sayuri déclara sur un ton mielleux avec un sourire tandis que sa victime crachait un juron.

« Cette pique à cheveux contenait une substance aux vertus très particulières choisie tout spécialement pour toi, allez devine ce que c’est ! Bon vu qu’il ne nous reste pas beaucoup de temps je vais te donner la réponse, c’est du curare. Je me suis dit que c’était le produit de la situation, j’espère que tu apprécies mon effort. Que peut-on trouver de mieux que ça pour un violeur taxé de meurtre de surcroit ? Tu as du le remarquer il provoque une paralysie progressive des muscles. En médecine à petite dose on l’utilise pour les anesthésies mais hélas pour toi je crois que j’ai eu la main lourde. Pour faire simple le curare se fixe sur les récepteurs du neurotransmetteur nommé acétylcholine de façon à ce que les signaux nerveux ne puissent plus circuler. Le petit hic c’est que la paralysie touche aussi le diaphragme et les muscles intercostaux ce qui entraine implacablement un arrêt respiratoire, c’est bête hein ? Mais je ne t’ai toujours pas demandé, alors ça fait quoi de se retrouver dans l’impuissance face à quelqu’un qui te veut du mal ? »

La jeune femme parlait sans pitié, appliquant sa sentence avec une sorte de plaisir morbide généré par la colère qu’elle ressentait vis-à-vis de ce monstre. Il n’aurait pas du s’en prendre à des pauvres filles sans défense, il devait payer pour avoir brisé leur vie sans raison, il servirait d’exemple. Elle poursuivit toujours aussi radieuse en se relevant.

« Comme j’ai une âme je te laisse une chance malgré tout. »

Une lueur d’espoir brilla dans les yeux de l’homme qui parvenait tout juste à remuer les doigts à présent. Elle ramassa un gros bloc de pierre et revint près de lui.

« Une autre propriété de ce poison très connu est sa rapidité d’action et d’inhibition. Avec une injection d’atropine entre autre il est possible de stopper la paralysie avant que tu ne meures suffoqué. Je suis prête à le faire à condition que tu renonces à ce qui fait de toi un homme ainsi je serai sure que tu ne seras plus tenté par tes vilaines manies ok ? Cligne des paupières deux fois si tu ne peux plus parler.»

La pierre qu’elle agitait en l’air était assez claire quant à ses intentions. Oui elle aurait pu se contenter de trancher de façon nette et rapide avec un couteau toutefois le processus manquait d’originalité à son goût et n’était pas assez douloureux. Ah petit détail qu’elle avait oublié de préciser, ce produit avait pour effet de causer un relâchement des muscles, c’est pourquoi il était très utile en chirurgie, toutefois il n’insensibilisait en rien à la douleur si aucun médicament de la famille de la morphine n'était administré. Quelle étourdie elle faisait ! Le signal ne tarda pas. Elle s’agenouilla à ses cotés et débuta son travail d’écrasement consciencieusement, augmentant la pression tout doucement jusqu’à finir par réduire en bouillie à grand coups de massue le service trois pièce du mourant qui devait être au supplice. La kunoichi poussa un soupir et essuya le sang qui avait giclé sur son visage en se relevant. Elle s’étira et commença à s’éloigner. Prenant soudain conscience qu’elle avait oublié quelque chose elle se retourna avec son large sourire qui ne l’avait quitté à aucun moment.

« Oh désolé tu as réellement cru que je comptais te sauver ? Mais pourquoi as-tu imaginé que je te laisserai une chance alors que tu n’en as pas laissé à tes victimes ? Tssss il faut être un minimum logique voyons. Allez dis-toi que ce n’est qu’un mauvais moment à passer, ton cerveau va bientôt se « déconnecter » pour se préserver. Tu devrais me remercier je viens de t’éviter une lapidation lors de ton jugement et une interminable attente en prison avant la prononciation de la sentence de ta mort. Enfin il est tard je dois y aller, adieu. »

Sur ce elle tourna les talons, s’apprêtant à disparaître dans les bois quand elle ajouta d’un ton léger.

« Cette partie de la forêt est très appréciée par des ninjas passionnés d'entomologie en raison de la prolifération et de la variété des insectes qui l’infestent. Je ne sais pas si c’est vrai mais on raconte que ceux de type nécrophage pullulent. Je prierai pour qu’ils ne soient pas trop voraces et attendent ta mort avant de passer à table. »

La jeune femme partit d’un rire enfantin comme si elle venait de dire une bonne blague alors que sa silhouette était engloutie dans les ténèbres de la nuit. De la boue et de la terre maculaient son joli kimono, sa coiffure était à présent à moitié défaite et ses épaules dénudées tachetées de fins éclats de sang tout comme son minois délicat. Son allure aurait rendu aux abois quiconque aurait posé les yeux sur elle. Pourtant une sérénité effrayante habitait son corps. Cette nuit elle s'était métamorphosée, elle avait trompé et laissé libre court à ses plus sombres instincts. Par ce fait une partie de son âme s'était faite le parfait échos de son démon intérieur. La mission était accomplie et les insectes besogneux engloutiraient les preuves de son acte de pure barbarie. Le lendemain elle prétendrait avoir perdu sa cible blessée à mort dans les marécages...